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Représentation au Luxembourg
  • Article d’actualité
  • 13 septembre 2024
  • Représentation au Luxembourg
  • 11 min de lecture

Discours liminaire de la Présidente von der Leyen lors de la Conférence du DLD Nature

«Seul le texte prononcé fait foi»

Bonjour,

Je suis l'heureuse grand-mère de quatre magnifiques petits-enfants. Ils sont tous nés au cours de cette décennie. D'ici le milieu du siècle, ils fonderont peut-être leur propre famille. Et il y a de fortes chances qu'ils vivent jusqu'à l'aube d'un siècle nouveau. Quand je les regarde, c'est l'avenir que je vois. Et je peux vous dire que c'est un avenir très tumultueux. Ils sont turbulents et incroyablement actifs. Ils sont mignons et ils requièrent une attention constante. Comme tout grand-parent, je veux ce qu'il y a de mieux pour eux. Mais nous savons tous que le monde dans lequel ils sont nés n'est pas en très bon état. Il se réchauffe à une vitesse inquiétante. Permettez-moi de prendre quelques minutes pour imaginer le monde de 2050, lorsque les enfants d'aujourd'hui seront de jeunes adultes.

En 2050, la belle ville de Munich risque d'être très différente. Imaginez passer l'été avec des températures dépassant les 35 degrés. Imaginez monter en haut de l'« Alter Peter » pour profiter de l'une des plus belles vues de la ville. Par temps clair, vous pourrez encore voir les sommets alpins de Stubai et de Zillertal. Mais les glaciers auront disparu. Ils ne seront plus que des souvenirs d'un passé lointain. Le monde de 2050, dans 25 ans à peine, pourrait être un monde où les inondations et le rationnement de l'eau sont monnaie courante. Un tiers des espèces auront disparu. Mes petits enfants n'entendront peut-être plus les grillons chanter une nuit d'été. Au lieu de cela, ils pourraient être exposés à de nouvelles maladies, répandues à travers les continents par des espèces de moustiques invasives.

Face à de telles perspectives, il est normal que les jeunes soient mécontents. Et que bien sûr, ils exigent des changements. Car il n'est pas trop tard pour leur construire un avenir différent. Ce ne sera pas facile. Mais nous savons ce qu'il faut faire. Nous devons suivre l'exemple des pionniers des nouvelles technologies et des nouvelles solutions et investir résolument dans l'ingéniosité humaine. Nous devons laisser le passé derrière nous et nous tourner vers l'avenir.

Et c'est là que réside le plus grand défi. Le changement peut faire peur. Il faut consentir à des efforts pour abandonner nos habitudes. Il faut du courage pour s'aventurer en terre inconnue. C'est pourquoi le travail que vous faites revêt tant d'importance. Ici, au DLD, vous montrez qu'un avenir différent n'est pas seulement possible, mais qu'il prend forme maintenant et que c'est enthousiasmant. Il suffit d'écouter attentivement vos incroyables expériences. Vous repensez notre relation avec la planète. Certains d'entre vous créent des quartiers sans déchets. D'autres transforment notre façon de voyager et de transporter des marchandises. Certains utilisent l'intelligence artificielle pour écouter les animaux et en tirer des enseignements sur la santé d'un écosystème. Vous transformez l'inquiétude face à l'avenir en attentes pleines d'espoir. Vous nous montrez que le changement peut être passionnant. Vos pratiques emplissent notre avenir de créativité, de curiosité, et de confiance. Cela n'a pas de prix. Car ce sont des pratiques de ce type qui nous donnent l'espoir et la confiance nécessaires pour prendre notre destin en main.

Mais le chemin pour y parvenir est semé d'embûches. La bonne nouvelle, c'est que nous ne partons pas de zéro. Au cours des cinq dernières années, l'Europe a fait un grand pas vers cet avenir. Nous ne nous en rendons peut-être pas toujours compte, mais le changement est en marche partout autour de nous. Par exemple, l'année dernière, 82% des voitures nouvellement immatriculées en Norvège étaient des véhicules électriques. Pensez aux écrans de vos smartphones ou à l'éclairage de cette scène. La moitié de l'électricité que nous consommons aujourd'hui provient de sources renouvelables. Il y a cinq ans, c'était impensable. Et pourtant, nous l'avons fait. Lorsque la Russie a envahi l'Ukraine et que nous avons décidé de nous affranchir de notre dépendance à l'égard des combustibles fossiles russes, certains ont prédit qu'il nous faudrait retourner à l'ère du charbon. Mais ce n'est pas ce qui s'est passé. Nous avons guidé cette transition. Nous avons veillé à ce que l'Europe aille de l'avant et ne régresse pas. Aujourd'hui nous produisons plus d'électricité d'origine éolienne ou solaire qu'à partir de tous les combustibles fossiles réunis. L'ère de la domination des combustibles fossiles russes en Europe est définitivement révolue.

Tout cela a été possible parce que tout un continent s'est rassemblé autour d'un objectif commun. Nous avons changé non seulement nos politiques, mais aussi notre état d'esprit. Dans les années à venir, nous devrons réaliser une transformation similaire bien au-delà du secteur de l'énergie. Nous devrons repenser fondamentalement la relation entre notre économie et le monde naturel. Nous avons tous grandi avec l'idée que la nature a une valeur inestimable. Se réveiller avec le chant des oiseaux, boire l'eau d'une source, regarder le bleu infini de la mer. Comment mettre un prix sur tout cela ? Pourtant, nous attribuons bien un prix à la nature, à chaque seconde de chaque jour. Mais uniquement en prélevant des ressources dans l'environnement naturel. Il est possible de s'enrichir en extrayant des combustibles fossiles du sol, mais certainement pas en remettant du carbone dans le sol. Il est possible de gagner beaucoup d'argent en rasant une forêt, mais pas en en plantant une nouvelle et en la laissant vieillir. Nos agriculteurs voient leurs bénéfices augmenter lorsqu'ils exploitent davantage de terres et les cultivent de la manière la plus intensive possible, mais pas tellement lorsqu'ils laissent les terres en jachères, permettent aux plantes sauvages de fleurir et aux oiseaux de se reproduire. Pendant des siècles, l'humanité n'a fait que récompenser le pillage de notre environnement naturel. Aujourd'hui, nous constatons à quel point cette attitude est fondamentalement erronée. C'est une erreur d'un point de vue moral, mais aussi d'un point de vue économique.

Aujourd'hui, il est évident que la pression exercée sur la nature est en train d'atteindre un point critique. Le professeur Johan Rockström nous expliquera tout ce qu'il faut savoir des limites planétaires dans sa présentation. L'effet combiné du changement climatique et de la dégradation de la nature a des conséquences dévastatrices. Les récoltes des agriculteurs diminuent à cause de la dégradation des sols et d'un nombre trop faible d'insectes. Les filets de pêche restent vides parce que les engrais provenant des champs étouffent la vie aquatique. Les centrales hydroélectriques et nucléaires doivent cesser leur production à cause des sécheresses. Les échanges sont perturbés sur nos voies navigables parce que les rivières tarissent. Il existe des arguments économiques clairs en faveur de la préservation et de la restauration de la nature.

Et les entreprises européennes le comprennent très bien. Laissez-moi vous emmener un instant sur la côte espagnole, près du delta de l'Èbre. Il y a là une carrière où l'on extrait de l'argile pour produire du ciment. Jusqu'à récemment, l'environnement y était dégradé, hostile à la vie animale. Le sol était trop dur et trop sec pour retenir l'eau. La pluie ne faisait que lessiver les sols, ce qui polluait les rivières et les champs. Et en cas de fortes pluies, l'autoroute voisine se retrouvait inondée d'eau boueuse. Mais aujourd'hui, avec l'aide de l'Université de Barcelone et d'un financement de l'Union européenne, la société qui l'exploitait a complètement transformé ce site. Les pentes épuisées ont été rendues à la nature. Le site abrite désormais un lac entouré de verdure et grouillant de vie. Et le sol en meilleure santé protège les zones alentour des sécheresses et des inondations. Tout cela tout en garantissant les mêmes retombées économiques et en créant de nouveaux emplois. Cette solution profite autant à la nature qu'à l'économie.

On constate une prise de conscience grandissante de la valeur économique indéniable que présente une nature intacte. Comme l'un d'entre vous l'a si bien dit, nous devons « faire de la nature un élément du bilan comptable ». Et ce changement a commencé à s'opérer. Nos entreprises commencent à intégrer la nature dans leurs plans d'entreprise. Une compagnie d'assurances néerlandaise, par exemple, offre des réductions à ses clients qui installent des toitures végétales. Pourquoi ? Parce que cela rendra la maison et tout le quartier plus sûrs. Cela permettra de drainer l'eau de pluie en surplus et d'augmenter la durée de vie du toit. Ce n'est donc pas seulement une bonne chose pour les oiseaux et les abeilles, mais cela permet également de réduire les coûts futurs de la compagnie d'assurances. C'est la preuve qu'une approche différente est possible. Une approche privilégiant une économie qui encourage les gens à être au service de la nature. De sorte que la nature puisse nous être utile à tous.

Mais pour que ce nouveau type d'économie puisse croître et prospérer, il faut que nos politiques soient au diapason. Ces cinq dernières années, nous avons traduit nos objectifs climatiques en réglementation. Nous disposons d'un éventail complet de règles claires. Mais tout en les mettant en œuvre, nous devons également encourager ceux qui vont au-delà des objectifs fixés. En plus de règles, il nous faut des récompenses. Car la protection de la nature doit présenter un intérêt aussi d'un point de vue économique. Et nous pouvons y arriver. Permettez-moi de vous donner deux exemples. Le premier concerne les agriculteurs et les communautés rurales, qui vivent au plus près de la nature. Et le second concerne les crédits carbone et « nature ».

Le débat autour de l'avenir de l'agriculture en Europe a souvent été houleux. Comme si nous ne pouvions pas concilier les intérêts des agriculteurs avec les intérêts de la nature. Pourtant, la nature, c'est le gagne-pain des agriculteurs. Leur vie entière dépend de la qualité des sols, de la propreté des eaux et du travail vital des pollinisateurs. Les agriculteurs le savent mieux que quiconque. Et depuis l'an dernier, nous convoquons une table ronde qui réunit les agriculteurs et les groupes environnementaux, le secteur agro-alimentaire et les associations de consommateurs, le secteur financier et les scientifiques. Les parties prenantes. Nous l'avons appelée le Dialogue stratégique sur l'avenir de l'agriculture en Europe. Et il a montré que nous avions bien plus de points en commun qu'on ne le pensait. Par exemple, les agriculteurs sont parmi les premières victimes du changement climatique et de la disparition des espaces naturels. Dans le même temps, toutefois, les structures et pratiques agricoles peuvent alimenter ces crises. L'agriculture durable est par conséquent un instrument extrêmement important pour soutenir une agriculture qui fonctionne en symbiose avec la nature.

Nous savons que cela peut se faire au moyen d'un système efficace de récompenses et d'incitations. Ce n'est que si les agriculteurs peuvent vivre de leurs terres qu'ils investiront dans des pratiques plus durables. Et ce n'est que si nous réalisons ensemble nos objectifs climatiques et environnementaux que les agriculteurs pourront continuer à gagner leur vie. Il nous faut de nouveaux outils financiers, pour indemniser les agriculteurs des coûts supplémentaires des pratiques durables et leur apporter une contrepartie pour le soin qu'ils prennent des terres, de l'eau et de l'air. Il est temps de récompenser ceux qui sont au service de notre planète.

Cela m'amène à mon deuxième exemple, concernant les crédits «nature». Vous savez tous comment ce système pourrait fonctionner. Prenez l'exemple d'une compagnie des eaux, pour qui l'état de santé d'une source est crucial. Ou d'une société horticole, pour qui le travail des pollinisateurs est essentiel. Elles pourraient recourir aux crédits « nature » pour récompenser les communautés locales ou les agriculteurs, fournisseurs de services écosystémiques. Nous pouvons créer un véritable marché pour la remise en état de notre planète. Est-ce trop beau pour être vrai ? Nous savons que c'est possible, avec les normes appropriées, parce que nous l'avons déjà fait. Ici, en Europe, nous disposons déjà d'un marché du carbone incroyablement efficace. Il fonctionne depuis près de 20 ans. Les émissions de gaz à effet de serre ont diminué de presque 50%, ce qui n'a pas empêché la croissance de notre économie. En même temps, la tarification du carbone a permis de lever 180 milliards d'euros, qui ont été réinvestis dans des projets en faveur du climat et de l'innovation.

Il devrait en aller de même pour les crédits « nature ». Nous devons diriger des recettes essentielles vers tous ceux qui fournissent des services écosystémiques. Des travaux sont déjà en cours au niveau des Nations unies et en d'autres endroits, pour définir une norme mondiale des crédits « nature ». Il s'agit d'une première étape indispensable pour permettre le développement de ce marché en pleine expansion. Et nous travaillons activement avec les États membres à l'élaboration des premiers projets pilotes à l'appui de ce processus. Nous voulons que la décarbonation soit source de croissance et d'innovation. Vers une économie circulaire et compétitive, qui rende à la nature, plus qu'elle ne lui prend.

Mesdames et Messieurs,

Depuis mon enfance, 70% de la faune et de la flore sauvages ont disparu. Au cours de ma vie, l'équilibre mondial a vacillé à cause de l'action humaine. Mais au cours de la vie de mes petits-enfants, nous pouvons rétablir cet équilibre et permettre à la nature de se rétablir. C'est l'histoire de l'humanité. Après chaque crise, une reprise est possible. Rien n'est acquis, mais avec un esprit novateur et déterminé à résoudre des problèmes, il est possible d'y parvenir. Les enfants d'aujourd'hui ne nous pardonneraient jamais de ne pas relever ce défi.

Merci à tous et vive l'Europe.

Détails

Date de publication
13 septembre 2024
Auteur
Représentation au Luxembourg