Discours de la Présidente von der Leyen à l'occasion de la remise du Prix international Charlemagne d'Aix-la-Chapelle 2023 à Son Excellence Monsieur Volodymyr Zelenskyy, Président d'Ukraine, et au peuple ukrainien

"Seul le texte prononcé fait foi"

Monsieur le Président Volodymyr Zelenskyy,

Monsieur le Chancelier Olaf Scholz,

Monsieur le Premier ministre Mateusz Morawiecki,

Madame la Maire Sibylle Keupen,

Monsieur Jürgen Linden,

Mesdames et Messieurs,

Quand on vient à Aix-la-Chapelle et qu'on contemple autour de soi tous ces monuments et lieux emblématiques du passé, on ressent presque physiquement le poids de l'histoire de l'Europe, dans toutes ses dimensions, dans sa violence et sa beauté. Ses souffrances et ses avancées. Ses divisions centenaires et son unité, vieille de quelques décennies. Le prix que nous décernons aujourd'hui – pour reprendre les termes de son fondateur Kurt Pfeiffer – témoigne de l'obligation éminemment éthique de faire en sorte que chaque nouveau chapitre de notre histoire commune soit meilleur que le précédent. Cette obligation impose que les Européens, formant une Union forte, – je cite – «défendent ces biens terrestres les plus précieux que sont la liberté, l'humanité et la paix et préservent l'avenir de leurs enfants et des enfants de leurs enfants».

La personne et le peuple que nous saluons aujourd'hui ont honoré cette obligation bien plus qu'aucun d'entre nous. Ils se battent littéralement pour défendre la liberté, l'humanité et la paix. Ils versent leur sang et offrent leur vie pour sauvegarder l'avenir de leurs enfants. Et des nôtres. Le Président Zelenskyy et le peuple ukrainien savent pourquoi ils se battent. Et ils ont compris ce qu'incarnent l'Europe et notre Union.

Mes paroles ne sauraient vraiment leur rendre justice. Contrairement à celles du Président Zelenskyy. Dans son remarquable discours inaugural de 2019, il a dit au peuple ukrainien: «Nous avons choisi le chemin de l'Europe, mais l'Europe n'est pas quelque part, l'Europe est dans nos esprits. Et quand l'Europe sera dans nos esprits, alors, l'Europe sera en Ukraine.»

Monsieur le Président, cher Volodymyr, je suis profondément convaincue que vos aspirations deviendront réalité. Et nous n'aurons de cesse de faire en sorte qu'elles le deviennent.

Mesdames et Messieurs,

De la douleur naissent la force et le courage. L'Ukraine l'a démontré jour après jour, depuis ce matin fatidique où la Russie a lancé ses colonnes de chars et des dizaines de milliers de soldats par-delà la frontière. Lorsque, quelques semaines plus tard, j'ai rencontré Volodymyr Zelenskyy dans une Kiev ébranlée par les bombardements, je revenais de Boutcha. J'ai vu la masse des sépultures à côté de l'église et l'étroit alignement des sacs mortuaires. Les premiers symboles cruels de la guerre voulue par Poutine. Je n'oublierai jamais l'image de ces bougies allumées partout – dont chacune brillait pour une mère, un père, un fils, une fille, un frère, une sœur, une vie éteinte pour rien. On ne pouvait qu'être étreint par le désespoir et la colère.

Mais aussi par la conviction que l'Ukraine ripostait et reprenait le dessus. Lorsque je me suis entretenue avec le Président Zelenskyy, je connaissais déjà son courage et sa volonté, par les nombreux appels et échanges que nous avions eus dès ces premiers jours et semaines très sombres. Mais en le regardant dans les yeux, j'ai été frappée par la détermination absolue qu'il dégageait. Le Président Zelenskyy a la conviction inébranlable que ceux qui se battent pour quelque chose seront toujours plus forts que ceux qui se battent pour imposer leur loi.

C'est ainsi que nous écrirons le prochain chapitre de notre histoire. Et c'est précisément pour tout cela, pour leur courage et leur résilience, leur sacrifice et leurs valeurs, que je ne peux m'imaginer de lauréat plus approprié pour ce prix Charlemagne que le Président Zelenskyy et le peuple d'Ukraine. Le Président Zelenskyy et le peuple d'Ukraine se battent pour les valeurs et pour l'obligation que ce prix incarne. Ce faisant, ils se battent également pour notre liberté à nous et pour nos valeurs. La démocratie et l'état de droit, la liberté d'expression et la liberté de forger son propre destin.

C'est pour cela que l'Ukraine se bat – et c'est cela que le Président Poutine tente de détruire. Le Président Poutine est en train de réduire à néant l'édifice de paix que nous nous employons à construire depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et, plus récemment, la chute du rideau de fer. Le Président Poutine cherche à détruire l'Europe qu'ont contribué à bâtir des lauréats du prix Charlemagne tels que Gyula Horn et Vaclav Havel, François Mitterrand et Helmut Kohl, et bien d'autres encore. Le Président Poutine cherche à défaire tout ce qui a été accompli depuis les événements de 1989 et dans les décennies qui ont suivi, qui ont vu les peuples d'Europe abattre le rideau de fer et «l'Europe changer de visage à tout jamais», comme l'historien et lauréat du Prix Charlemagne, Timothy Garton Ash, l'a si bien dit.

Chaque génération est un jour ou l'autre amenée à se dresser pour défendre la démocratie et ce en quoi elle croit. Pour nous, ce jour est arrivé. Et à l'instar de ceux qui ont courageusement combattu pour la liberté et ont changé la face de notre continent il y a un peu plus de trente ans, c'est nous, aujourd'hui, qui déciderons de ce à quoi notre Europe ressemblera à l'avenir.

Le peuple ukrainien a révélé au monde la force de sa société. Sa volonté de combattre et d'être libre a stupéfié le monde. Sa certitude inébranlable de la place qui lui revient est fascinante. C'est la société civile qui, depuis une dizaine d'années, guide la progression de l'Ukraine sur la voie de l'Union européenne; elle a démontré son courage et sa détermination à maintes reprises. Jamais nous ne pourrons égaler le sacrifice et la bravoure du peuple ukrainien. Mais nous pouvons nous tenir fermement à ses côtés.

Je ne veux pas seulement parler des dizaines de milliards d'euros de soutien apporté à l'Ukraine, des sanctions draconiennes prises contre la Russie ou des armes et des munitions modernes que nous avons promises et livrées. Je veux également parler d'accompagner l'Ukraine sur la voie de l'adhésion à notre Union et de l'aider à se préparer pour l'avenir, alors même que la guerre fait encore rage. Je pense aux innombrables Européens qui ont ouvert leur porte et leur cœur aux réfugiés ukrainiens – 4 millions de personnes ont trouvé un abri temporaire après avoir dû quitter leur pays à cause des bombes de Poutine. Je voudrais remercier et rendre hommage aux nombreux volontaires, aux villes et aux municipalités, aux enseignants et aux clubs de sport qui accueillent des enfants ukrainiens au sein de leurs groupes, et aux innombrables entreprises qui proposent un travail à leurs parents. Voilà l'Europe sous son meilleur jour.

Mesdames et Messieurs,

C'est grâce au Président Zelenskyy, grâce au peuple ukrainien, grâce à notre solidarité à tous que le visage de l'Europe connaît un nouveau changement. L'Ukraine incarne tout ce qui anime l'idée européenne: le courage des convictions, la défense de valeurs et de la liberté, l'engagement en faveur de la paix et de l'unité. C'est pourquoi je suis convaincue que l'Ukraine vaincra, qu'elle conquerra la paix et qu'elle fera de sa destinée européenne une réalité.

La militante des droits humains Oleksandra Matviichuk a déclaré il y a quelques jours à Vienne que «les gens en Ukraine veulent la paix plus que n'importe qui d'autre. Mais un pays qui a été attaqué n'obtient pas la paix en déposant les armes. Ce ne serait pas la paix, mais une occupation. Et l'occupation n'est qu'une autre forme de la guerre». Je suis tout à fait d'accord avec elle. Dans l'Union européenne, nous parlons de nombreuses langues différentes, mais dans chacune d'elles victoire est synonyme de paix et de justice, c'est-à-dire d'une paix juste.

Évidemment, comme cela a toujours été le cas en Europe, il y aura des «sceptiques» qui diront que c'est impossible, que c'est une chimère. Mais si c'était justement cela, notre idée: nous unir pour faire advenir l'impossible, envers et contre tout? Je voudrais à nouveau citer le Président Zelenskyy. «Une victoire», a-t-il déclaré, «c'est lorsque les armes se taisent et que la voix du peuple s'élève.» Il parlait de l'Ukraine. Mais c'est l'Europe qu'il décrivait, et ce qu'elle représente. Et si c'était cela, notre idée: nous unir pour faire advenir l'impossible, envers et contre tout?

En remettant ce prix aujourd'hui, le message que nous adressons est clair: nous sommes aux côtés du Président Volodymyr Zelenskyy. Nous sommes aux côtés des Ukrainiens. Nous nous tiendrons à leurs côtés jusqu'à ce qu'ensemble, nous réalisions l'impossible.

Slava Ukraini!

Vive l'Europe!