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Représentation au Luxembourg
Discours28 février 2024Représentation au Luxembourg9 min de lecture

Discours de la Présidente von der Leyen lors de la session plénière du Parlement européen

Madame la Présidente,

Monsieur le Secrétaire d'État,

Mesdames et Messieurs les députés,

Ces dernières années, de nombreuses illusions européennes se sont brisées. L'illusion que la paix est un état permanent. L'illusion que la prospérité économique pourrait peser davantage aux yeux de Poutine que la destruction d'une Ukraine libre et démocratique. L'illusion que l'Europe, de son côté, en faisait assez en matière de sécurité — qu'elle soit économique ou militaire, conventionnelle ou cybernétique. Nous voyons bien, en regardant autour de nous, qu'il n'y a plus de place pour les illusions. Poutine a utilisé les dividendes de la paix pour préparer cette guerre. Le résultat est que le monde est plus dangereux aujourd'hui qu'il ne l'a été depuis des générations. La guerre d'agression brutale de la Russie contre l'Ukraine est maintenant entrée dans sa troisième année, et le conflit est plus ancré et intense que jamais.

Nous assistons à la montée en puissance d'un nombre croissant et inquiétant de dirigeants autoritaires dotés d'une réelle capacité de nuisance. La Corée du Nord enchaîne les livraisons d'obus d'artillerie à la Russie. L'Iran fournit des drones d'attaque, et surtout la technologie nécessaire à leur fabrication, qui infligent des dommages incalculables aux villes et aux citoyens ukrainiens. La poursuite de la guerre à Gaza et la déstabilisation à grande échelle du Moyen-Orient annoncent une ère d'insécurité et de conflits dans la région et au-delà. Et nous assistons aussi à une concurrence économique de plus en plus agressive et à des distorsions croissantes des échanges, qui comportent des risques bien réels pour la sécurité en Europe. Donc, pour parler aussi franchement que le président finlandais sortant Niinistö le mois dernier: «l'Europe doit se réveiller». Et j'ajouterais : de toute urgence. Nous le savons tous, l'enjeu est de taille: il en va de notre liberté et de notre prospérité. Et nous devons commencer à agir en conséquence.

Nous devons commencer à travailler sur l'avenir de l'architecture de sécurité européenne. Dans toutes ses dimensions, avec toute la rapidité et la volonté politique nécessaires. Car le fait est que nous vivons des conflits non pas seulement depuis 2022, mais depuis bien plus longtemps. Les menaces qui pèsent sur notre sécurité, notre prospérité et notre mode de vie prennent de nombreuses formes différentes, que nous connaissons tous bien. Certaines sont évidentes, d'autres ont des contours plus flous. Qu'il s'agisse de la lutte contre l'ingérence politique et de la réduction de nos dépendances dangereuses – ce que j'ai appelé la «politique de réduction des risques» — ou de l'éloignement d'acteurs hostiles dans nos infrastructures critiques. Nous, Européens, devons être sur nos gardes. Il ne s'agit pas seulement de venir à bout des tyrans sur le champ de bataille, il faut y parvenir dans l'ensemble de notre société.

 

La bonne nouvelle, c'est que nous avons déjà entamé une grande partie de ce travail. En fait, ces dernières années n'ont pas seulement servi à briser certaines illusions européennes. Elles ont également mis fin à de nombreuses illusions au sujet de l'Europe. Comme l'idée que notre unité ne tiendrait pas face à une guerre sur notre continent. Ou que nos règles et nos divisions nous empêcheraient d'apporter un soutien financier, militaire et politique massif. Or, ces deux dernières années, l'Europe a montré qu'elle soutiendrait l'Ukraine aussi longtemps qu'il le faudra. Et nous avons également fait la démonstration qu'une Europe plus souveraine n'était pas qu'un vœu pieux.

À ce stade, permettez-moi d'être claire: la souveraineté européenne rendra nos partenariats plus puissants. Elle ne rognera jamais l'importance et la nécessité de notre alliance au sein de l'OTAN. En fait, une Europe plus souveraine, en particulier en matière de défense, est essentielle au renforcement de l'OTAN. C'est pourquoi je me réjouis de l'annonce que la Suède deviendra bientôt un allié de l'OTAN. Je tiens à féliciter la Suède, sous la direction de son Premier ministre Ulf Kristersson, pour l'étape historique que vient de franchir ce pays. En substance, la souveraineté européenne consiste à assumer nous-mêmes la responsabilité de ce qui est essentiel, voire vital, pour nous. Il s'agit de notre capacité, mais aussi de notre volonté de défendre nous-mêmes nos intérêts et nos valeurs. C'est ce que les dirigeants ont convenu avec le programme de Versailles, juste après le début de la guerre, afin de réduire nos dépendances stratégiques dans des domaines critiques tels que l'énergie, les technologies clés (vous vous souvenez des semi-conducteurs), les capacités économiques et, bien sûr, la défense.

Les États membres sont passés à la vitesse supérieure. La semaine dernière, la mission navale Aspides a été lancée en riposte à la menace directe sur la liberté de navigation. Une liberté de navigation qui constitue le fondement du commerce mondial sur l'une des voies navigables les plus importantes au monde. Les États membres ont également redoublé d'efforts en ce qui concerne leurs dépenses de défense. Leurs budgets nationaux de défense ont déjà augmenté de 20 % par rapport à l'année dernière. L'OTAN vient d'annoncer qu'elle s'attend à ce que dix-huit de ses membres dépassent l'objectif de 2 % du PIB consacré à la défense cette année. Ils n'étaient encore que trois il y a dix ans. Et ensemble, nous avons maintenant davantage de dépenses communes pour des capacités et des projets communs entre Européens. La Facilité européenne pour la paix a mobilisé 6,1 milliards d'euros pour soutenir les forces armées ukrainiennes au moyen d'équipements et de fournitures militaires létaux et non létaux. Le Fonds européen de défense investit dans des capacités de défense haut de gamme dans des domaines critiques comme le combat naval, terrestre et aérien, les systèmes d'alerte précoce fondés sur l'espace et le secteur cybernétique. Enfin, nous avons pris des mesures importantes pour accroître nos capacités industrielles et manufacturières dans le domaine de la défense. Dans les prochaines semaines, nous annoncerons les décisions d'attribution dans le cadre du programme ASAP. Ce financement nous permettra quasiment de doubler la production européenne de munitions, pour atteindre plus de 2 millions d'obus par an d'ici la fin de 2025.

 

Mesdames et Messieurs les députés,

Tous ces progrès montrent que l'Europe a commencé à prendre conscience de l'urgence et de l'ampleur du défi qui nous attend. Mais il reste encore beaucoup à faire. Et nous devons agir vite. La menace d'une guerre n'est peut-être pas imminente, mais elle n'est pas impossible. Les risques ne doivent pas être exagérés mais nous devrions y être préparés. Et cela commence par la nécessité urgente de reconstruire, de reconstituer et de moderniser les forces armées des États membres. Ce faisant, l'Europe devrait s'efforcer de mettre au point et de fabriquer la prochaine génération de capacités opérationnelles qui lui permettraient de l'emporter sur le champ de bataille, et s'assurer qu'elle dispose de quantités de matériel suffisantes et de la supériorité technologique dont nous pourrions avoir besoin à l'avenir. Cela signifie qu'il faut booster notre capacité industrielle de défense au cours des cinq prochaines années.

Un principe simple doit guider cette démarche: l'Europe doit dépenser plus, dépenser mieux, dépenser européen. Dans les prochaines semaines, nous présenterons des propositions pour une toute première stratégie européenne de défense industrielle. L'un des principaux objectifs de cette stratégie, et du programme européen d'investissement dans la défense qui l'accompagnera, sera de favoriser les acquisitions conjointes dans le domaine de la défense. Tout comme nous l'avons très bien fait pour les vaccins ou, par exemple, pour le gaz naturel. Cela nous aidera à réduire la fragmentation et à accroître l'interopérabilité. Mais pour ce faire, nous devons envoyer collectivement un signal fort à l'industrie. C'est pourquoi nous examinerons les moyens de faciliter, par exemple, les accords d'enlèvement. De tels accords doivent reposer sur la sécurité et la certitude que les produits seront enlevés. Ou, par exemple, les accords d'achat anticipé, pour lesquels nous fournirons des garanties. Cela permettrait à nos entreprises du secteur de la défense d'avoir un carnet de commandes très stables et, surtout, prévisibles à long terme.

Nous renforcerons le soutien à l'essor de l'industrie, comme nous le faisons actuellement pour les munitions dans le cadre du programme ASAP. Nous identifierons les projets de défense européens d'intérêt commun, afin de concentrer les efforts et les ressources là où l'impact et la valeur ajoutée sont les plus importants. Et nous nous concentrerons sur l'innovation afin de garantir que l'Europe dispose d'un avantage dans les nouvelles technologies, que nous voyons déployées dans le monde entier dans différents conflits. Il doit s'agir d'un effort véritablement européen. C'est pourquoi je suis fière d'annoncer que nous allons créer un bureau pour l'innovation en matière de défense à Kiev. Ce bureau rapprochera l'Ukraine de l'Europe et permettra à tous les États membres de tirer parti de l'expérience et de l'expertise de l'Ukraine sur le champ de bataille au bénéfice de l'innovation industrielle dans le domaine de la défense.

Mesdames et Messieurs les députés,

Il ne sera pas facile de franchir ensemble cette étape en matière de défense. Il faudra prendre des décisions audacieuses et faire preuve de courage politique. Et il faudra surtout que les institutions, l'industrie et les investisseurs abordent la défense européenne dans un nouvel état d'esprit. C'est pourquoi je salue vivement les propos du président Calviño, qui a déclaré que la BEI était prête à faire davantage pour contribuer à des projets communs favorisant l'essor de l'industrie européenne de la défense. J'invite à présent vraiment les États membres à approuver cette proposition. L'industrie de la défense en Europe a besoin d'un accès au capital. J'aimerais encourager nos bailleurs de fonds publics et privés à soutenir notre industrie de la défense et en particulier les petites et moyennes entreprises. Dans le domaine de la défense également, les petites et moyennes entreprises constituent l'épine dorsale de notre industrie. Elles sont le moteur de l'innovation et un rouage essentiel du marché unique. Ce sujet doit donc faire l'objet d'une attention sans faille. C'est pourquoi je suis personnellement favorable à la désignation d'un commissaire à la défense pour la prochaine Commission.

Et au-delà, j'aimerais que nous voyions plus grand. Il est temps de commencer à discuter de l'utilisation des bénéfices exceptionnels des avoirs russes gelés pour acheter conjointement des équipements militaires pour l'Ukraine. Il n'y a pas de symbole plus fort ni de meilleure utilisation de cet argent que de faire de l'Ukraine et de toute l'Europe un lieu de vie plus sûr.

Mesdames et Messieurs les députés,

En fin de compte, il s'agit pour l'Europe d'assumer la responsabilité de sa propre sécurité. La vérité est simple: nous ne pouvons pas rester inactifs. Nous n'avons pas le contrôle des élections ou des décisions dans d'autres parties du monde. Et nous n'avons tout simplement pas le temps d'éluder la question. Avec ou sans le soutien de nos partenaires, nous ne pouvons pas laisser la Russie gagner. Et le coût de l'insécurité — le coût d'une victoire russe — est bien plus important que toutes les économies que nous pourrions faire aujourd'hui. C'est pourquoi il est temps pour l'Europe de passer à la vitesse supérieure.

Vive l'Europe!

Détails

Date de publication
28 février 2024
Auteur
Représentation au Luxembourg